Selon une étude menée par le Dr. Sasha Danilovich sous la direction du Prof. Yossi Yovel de l'École de Zoologie et de l'Ecole des Neurosciences de l'Université de Tel-Aviv, les chauves-souris préfèrent dans certains cas utiliser leur vue plutôt que leur "sixième sens", l'écholocation. Plus encore, elles sont capables de traduire les signaux reçus par leur "sonar" en une image visuelle. Selon les chercheurs, l'étude de la manière dont elles combinent l'usage de leurs sens peut permettre de mieux comprendre le traitement de l'information multi-sensorielle chez l'homme, et le processus par lequel le cerveau intègre les données issues des différents sens.
L'étude, réalisée dans le Jardin zoologie de l'Université de Tel-Aviv, a été publiée dans la revue Science Advances.
"On sait que les chauves-souris ont un sens particulier, qui leur permet de s'orienter dans leur environnement même dans l'obscurité la plus totale", explique le Prof. Yovel. "Ce sens, appelé écholocation, fonctionne comme les sonars installés à bord des navires pour scanner l'environnement sous-marin: les chauves-souris émettent des ondes sonores et en retour, reçoivent les échos renvoyés par les objets situés dans leur environnement. Cette faculté a créé au sein du public l'idée fausse selon laquelle elles sont aveugles. En fait, toutes les chauves-souris voient, et les chauves-souris frugivores du type de celles que nous avons étudiées ont même une excellente vision, bien meilleure la nuit que celle des humains. Dans cette étude, nous avons cherché à examiner comment elles combinent le sens de la vue et leur sixième sens, l'écholocation".
Toutes les chauves-souris voient
L’étude a été menée sur un groupe de chauves-souris frugivores hébergées dans le jardin zoologique de l’Université de Tel-Aviv. Au cours de la première phase, les chercheurs ont 'appris' aux chauves-souris à faire la distinction entre un cube lisse et un cube perforé dans l'obscurité totale, c'est-à-dire en n'utilisant que leur radar, en leur procurant une dose de nourriture lorsqu'elle atterrissait sur le "bon" cube. Ils ont ensuite inversé la situation: les cubes ont été exposés à la lumière, mais placés dans des boîtes en plastique transparentes et semblables entre elles que le sonar ne pouvait distinguer, car elles renvoyaient des échos identiques. Les chauves-souris, qui voyaient les cubes pour la première fois, ont cependant été capables de choisir le bon. "Cela signifie qu'elles peuvent traduire les informations capturées par leur sonar en images visuelles, au moins partiellement", explique le Prof. Yovel.
Dans un second temps, les chauves-souris ont appris à choisir entre un rouleau et un prisme en activant leurs deux sens principaux (sonar et vision). Puis elles ont de nouveau été exposées aux deux objets à la lumière, ceux-ci étant placés dans des boîtes transparentes neutralisant l'utilisation du sonar, et elles ont pu effectuer leur tâche avec succès en utilisant uniquement le sens de la vue. Dans l'obscurité, par contre, alors qu'elles ne disposaient que de leur sonar, elles n'ont pas pu distinguer entre les objets, ce qui indique qu'elles ont appris à les identifier par la vision et non par écholocation.
Enfin, dans la troisième partie de l'étude, les chauves-souris ont été placées dans un couloir qui se scindait en deux tunnels: un dont l'extrémité était ouverte et l'autre bloqué au bout. "Lorsque nous avons bloqué le tunnel avec un tableau noir, les chauves-souris se sont toujours dirigées vers lui, probablement parce que le tableau noir leur semblait être l'ouverture d'une grotte", explique le Prof. Yovel. "Ce n’est qu’en arrivant à proximité du tableau qu'elle se sont aperçues, grâce à leur sonar, que le tunnel était en fait bloqué; et elles ont fait demi-tour. C’est donc le sens de la vue qui a dominé lors de leur décision de voler vers "l'ouverture" imaginaire, mais c'est le sonar qui a empêché une collision avec l'obstacle. Cela signifie que les chauves-souris peuvent combiner librement entre leurs deux sens. " En revanche, lorsque la porte a été bloquée par un tableau blanc, les chauves-souris ont toujours choisi le tunnel ouvert".
"Dans notre étude, nous avons montré par diverses méthodes comment les chauves-souris combinent leurs deux sens principaux, le sens de la vue et leur capacité d'écholocation", conclut le Prof. Yovel. "Nous avons constaté que dans de nombreux cas, elles s'appuient davantage sur leur sens visuel et convertissent même les informations capturées par leur sonar en image visuelle. Toutefois, dans certaines situations, comme en s'approchant d'un mur par exemple, elles peuvent " changer " et se reposer sur leur sonar. Comprendre la manière dont les sens de la chauve-souris s'intègrent peut également aider à apprécier l’utilisation des informations multi-sensorielles chez les humains (par exemple, lorsque nous entendons une voiture et la voyons approcher), et même aider à résoudre des questions clés concernant le traitement sensoriel et la manière dont le cerveau combine les informations obtenues par nos différents sens".
Photos:
1. Chauve souris en gros plan (Crédit: Jens Rydell).
2. Le Prof Yossi Yovel.
3. Trois chauves-souris sortant d'une grotte (Crédit: Stefan Greif).