Le Prof. Tamir Tuller, du Département de génie biomédical de la Faculté d'ingénierie et de l’Institut pour la recherche de solutions d’ingénierie pour l’amélioration de la vie de l’Université de Tel-Aviv, a réussi à prédire à la fois le type de cancer et la probabilité de survie des patients à partir des mutations silencieuses de génomes cancéreux. L’étude, réalisée par la doctorante Tal Gutman, prouve que cette approche révolutionnaire pourrait sauver bien des vies dans l’avenir.
Ses résultats ont été publiés dans la revue NPJ Genomic Medicine.
Les mutations silencieuses sont des mutations qui ne modifient pas la séquence des acides aminés des protéines. Ces dernières années, des études ont prouvé que ces mutations, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la région de codage génétique de la cellule, peuvent affecter l'expression des gènes, et être associées au développement et à la propagation des cellules cancéreuses. Cependant, la question de savoir si les mutations silencieuses peuvent aider à identifier les types de cancer ou à prédire les chances de survie des patients n'a jamais été étudiée auparavant au moyen d’outils quantitatifs.
Un pouvoir prédictif similaire à celui des mutations "normales"
Dans le cadre de la présente étude, basée sur près de trois millions de mutations de génomes cancéreux provenant de 9 915 patients, les chercheurs ont tenté d'identifier le type de cancer et d’estimer la probabilité de survie 10 ans après le diagnostic initial, sur la base des seules mutations silencieuses. Ils ont découvert que le pouvoir prédictif de ces mutations silencieuses est dans de nombreux cas, similaire à celui des mutations « normales ». En outre, ils ont constaté qu'en combinant les informations obtenues à la fois à partir des mutations silencieuses et non silencieuses, on pouvait améliorer la classification pour 68 % des types de cancer, et obtenir les meilleures estimations de survie jusqu'à neuf ans après le diagnostic. Dans certains types de cancer, la classification a été améliorée jusqu'à 17 %, et le pronostic jusqu'à 5 %.
« Notre génome, comme celui des autres êtres vivants, contient des mutations qui peuvent modifier la séquence d'acides aminés des protéines qui codent le génome », explique le Prof. Tuller. « Dans la mesure où ces protéines sont responsables des divers mécanismes cellulaires, de telles mutations sont impliquées dans la transformation des cellules saines en cellules cancéreuses. En revanche, il existe d’autres mutations qui ne modifient pas les acides aminés, qui ont été qualifiées de « silencieuses », et ignorées pendant de nombreuses années. Dans notre étude, nous avons analysé environ 10 000 génomes de cancer de chaque type, et démontré pour la première fois que les mutations silencieuses ont une valeur diagnostique pour identifier le type de cancer, ainsi qu'une valeur pronostique permettant de prédire combien de temps le patient est susceptible de survivre ».
Le Prof. Tuller explique que le matériel génétique de la cellule détient deux types d'informations : la séquence d'acides aminés produits, et le moment et la quantité produite par chaque protéine, c'est-à-dire la régulation du processus de production. « Même si elles ne modifient pas la structure de la protéine, ces mutations silencieuses peuvent affecter la régulation de l'expression des gènes, ce qui est tout aussi important que le type de protéine produite. Si une cellule produit beaucoup moins d'une certaine protéine, c'est presque aussi grave que si cette protéine est complètement supprimée. Un autre aspect important, qui peut également être affecté par des mutations silencieuses, est le repliement tridimensionnel des protéines, qui a un impact sur son fonctionnement. les protéines sont de longues molécules constituées généralement de plusieurs centaines d'acides aminés, et leur processus de repliement commence lors de leur production dans le ribosome (structure intracellulaire responsable de la production des protéines dans la cellule). Le repliement peut être influencé par la vitesse à laquelle la protéine est produite, qui peut à son tour être affectée par des mutations silencieuses ».
Des mutations "silencieuses" qui font beaucoup de bruit
« De plus, dans certains cas, les mutations silencieuses peuvent affecter le processus dit d’épissage, au cours duquel des segments de matériel génétique subissent des coupes et se réorganisent pour former la séquence finale de l’ARN à partir de laquelle la protéine est formée. En bref, il s’avère que ces mutations silencieuses font en fait beaucoup de bruit, et dans cette étude nous avons pu quantifier leur impact pour la première fois ».
Pour tester leur hypothèse et quantifier l'effet des mutations silencieuses, le Prof. Tuller et ses collègues ont utilisé des bases de données d’informations génétiques publiques sur les génomes cancéreux des National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis. En utilisant des méthodes basées sur l’apprentissage automatique, ils ont essayé de prédire le type de cancer et de pronostiquer l’espérance de survie des patients sur la base des seules mutations silencieuses. Ensuite, ils ont comparé les résultats obtenus aux données réelles de la base de données.
« Les résultats de notre étude ont un certain nombre d'implications importantes », déclare le Prof. Tuller. « Tout d'abord, il n’y a aucun doute qu’en utilisant des mutations silencieuses, nous pouvons améliorer les modèles de diagnostic et de pronostic existants. Il est important de noter que même une amélioration de 17% est très significative, car il y a de vraies personnes derrière ces chiffres, des personnes que nous aimons, et un jour peut-être nous-mêmes ; donc tout pourcentage d'amélioration est important. Un médecin qui découvre des métastases chez un patient veut savoir quelle en est la source et comment la maladie s’est développée, afin de prescrire le meilleur traitement. Si, hypothétiquement, au lieu d’un diagnostic et d’un pronostic erroné chez 5 patients sur 10, on arrive à une erreur de seulement 4 cas sur 10, des millions de vies pourront être sauvées. De plus, nos résultats montrent que sur la base des seules mutations silencieuses, on peut dans de nombreux cas, obtenir des performances prédictives similaires à celles de mutations non silencieuses. Ce sont des résultats encourageants, car ces dernières années sont développées des technologies qui diagnostiquent les types de cancer sur la base d’examens de sang relativement peu invasifs, basés sur l'analyse de segments d'ADN provenant d'une source cancéreuse. Comme la plus grande partie de notre ADN n'est pas codée en protéines, il est probable que la plupart des segments d’ADN cancéreux de ce type obtenus à partir d’échantillons de sang contiendront des mutations silencieuses ».
La nouvelle étude a des implications dans tous les domaines de la recherche et du traitement en oncologie. Ayant prouvé la faisabilité de cette méthode, les chercheurs ont l'intention de créer une startup dans le cadre de l’incubateur Sanara Ventures qui se concentrera sur les mutations silencieuses comme outil médical de diagnostic et de pronostic.
Photos:
1. Le Prof. Tamir Tuller (crédit: Rafael Ben Menashe)
2. La docotrante Tal Gutman (crédit: Université de Tel-Aviv)