A l’occasion de la Journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah, Athanasios Katsikidis, étudiant grec du Programme de maitrise en Sécurité et diplomatie de l’Ecole internationale de l’Université de Tel-Aviv et journaliste, a rencontré à Bat-Yam le Colonel en retraite Moshe Haelion, écrivain et survivant de la Shoah né à Thessalonique, et s’est entretenu avec lui de ses souvenirs de la période la plus sombre de sa vie.
Athanasios Katsikidis est actuellement étudiant en Master du Programme de Sécurité et diplomatie de TAU International et chroniqueur pour le site web grec Politiquement incorrect (Incorrect.gr), ainsi que journaliste free-lance pour plusieurs journaux de son pays. Il est l’auteur d’une soixantaine d’interviews d’hommes politiques et de personnalités publiques.
A l’occasion de la Journée internationale à la mémoire des survivants de l’Holocauste, il a rencontré Moshe Haelion, survivant des crimes nazis, vivant actuellement en Israël à Bat-Yam mais né à Thessalonique au nord de la Grèce, qui a été transféré consécutivement dans 4 camps nazis : Auschwitz, Mauthausen, Melk et Ebensee.
Une des pages les plus sombres de l'histoire moderne
« Cette rencontre m’a fait réviser mes idées sur l’humanité », a-t-il commenté. « J’ai eu l’occasion unique de rencontrer l’un des derniers survivants de l’Holocauste qui a évoqué quelques-unes des pages les plus sombres de l’histoire moderne et m’a rappelé le véritable sens du mot liberté ».
Voici des extraits de l’interview, où le colonel en retraite Moshe Ha-Elion décrit son voyage vers et Auschwitz ses premiers jours dramatiques dans le camp.
Athanasios : Comment vous appelez-vous et où êtes- vous né ?
Moshe : Je m'appelle Moshe Ha-Elion. Je suis né à Thessalonique le 26 février 1925.
Athanasios : Comment s'est passée votre enfance à Thessalonique ?
Moshe : Je suis né dans la maison de mon grand-père. À Thessalonique à l’époque, lorsqu'une fille se mariait, on donnait de l'argent à l’époux et le couple vivait pendant une période dans la maison du beau-père. Je suis né dans la maison de mon grand-père maternel, et mon grand-père paternel était rabbin.
Athanasios : Quand les Allemands sont-ils arrivés à Thessalonique ?
Moshe : Les Allemands sont entrés à Thessalonique le 9 avril 1941. Ils ont réalisé leurs plans peu à peu. Le 11 avril 1942, ils ont convoqué tous les Juifs de 18 à 45 ans sur la Place de la Liberté. C’était un samedi. Je n'avais pas encore 18 ans, je n'y suis pas allé. Mais au bout de quelques heures, les bruits ont commencé à courir qu'ils étaient maltraités, qu’on leur faisait faire de la gymnastique sous le soleil. Puis on les a enregistré, on leur à faire des travaux de force sous les hurlements et sans nourriture.
Un jour de janvier 1943, des officiers allemands sont arrivés à Thessalonique et tous les Juifs ont du porter l’étoile jaune. Plus tard, ils ont envoyé les élèves des écoles, dont moi, recenser tous les habitants juifs dans les quartiers. Puis ils ont donné l’ordre de marquer les maisons et les magasins des Juifs, et un jour ils ont dit : « Tous les Juifs partent pour la Pologne, à Cracovie ». Ils disaient qu’on pouvait prendre 15 kilos de bagages, et que ceux qui avaient de l'argent devaient le convertir en zlotys (monnaie polonaise) ».
Athanasios : Qu’est-ce qu’ils vous ont dit que vous alliez faire en Pologne ?
Moshé : Il nous ont dit que la communauté juive allait nous aider, que nous pourrions acheter et vendre des produits, que nous pourrions travailler. Ils disaient : « Le monde entier sait que les Allemands n'aiment pas les Juifs. Et donc comme ils sont en guerre, ils ne peuvent pas les laisser partout en Europe, c'est pour cela qu’ils les concentrent en Pologne ». Plus tard, je me suis dit : « S'ils veulent concentrer les Juifs, pourquoi emmener les Juifs de Grèce en Pologne, qui est beaucoup plus proche du Front ? »
C'est ce que disaient les Allemands, et chaque famille achetait autant de zlotys qu'elle pouvait. Avant cela les Allemands ne laissaient pas les Juifs habiter partout, ils avaient établi des zones de « Ghetto ». Nous appelions cela « Ghettos » parce que nous savions qu'en Europe, dans l'histoire, il y avait eu des « Ghettos » où ils regroupaient tout le monde.
"Demain vous monterez dans les trains"
Athanasios : Quand êtes-vous monté dans le train ?
Moshe : Le premier train est parti pour Auschwitz le 15 mars 1943, puis d'autres ont suivi. Un jour, le 5 avril 1943, les gendarmes et les soldats allemands sont venus nous dire: « Demain matin vous partez pour le ghetto Baron Hirsch », parce que c'était le plus proche, ils y concentraient tous les juifs de la région et les regroupaient là, et c’est là qu’ils montaient dans les trains.
La veille nous avons acheté des vêtements et de la nourriture pendant toute la journée. Ma mère a préparé nos valises. Le lendemain matin nous nous sommes levés, et tout le quartier où j'habitais, rue Olympe et Alexandre le Grand, a dû partir pour le ghetto Baron Hirsch.
Mon grand-père a trouvé une calèche, nous avons mis nos bagages dessus et sommes allés à pied jusqu'au ghetto. Mon oncle qui avait servi dans l'armée a trouvé une petite maison. Nous y sommes resté avec ma grand-mère, mon grand-père et mon oncle qui était marié et avait un enfant d'un an. Nous avions une lampe, nous avons diné, et avant d'aller nous coucher des responsables communautaires sont venu nous dire: « Demain matin vous monterez dans les trains ».
La nuit nous avons dormi par terre, et le matin ils ont crié « Ghetto » devant plusieurs portes, en disant : « Sortez et on vous dira où aller ».
Le train était tout près du ghetto Baron Hirsch. Les familles étaient rassemblées et les Allemands criaient tout le temps : « Vite, vite ! » À la fin, nous sommes tous montés dans les wagons.
Dans le train, nous avons réuni toute la famille. Il y avait 80-90 personnes dans chaque wagon, avec 2 petites fenêtres et un baril que nous devions utiliser comme toilettes.
Nous avons roulé pendant plusieurs jours. Tous les 2-3 jours, le train s’arrêtait pour l'eau loin des villes et le 7 avril, au matin, ils nous ont dit : « Aujourd'hui, nous serons à Cracovie ». Tout le monde s’est mis à applaudir.
Dans la nuit le train s'est arrêté, ils ont ouvert les portes. J’ai vu un grand terrain avec des gens. On nous a dit : « Descendez, laissez toutes vos affaires dans les wagons », les gens ont commencé à réagir : « Pourquoi ? Nous avons besoin de nos affaires ». Personne ne nous a écouté.
Finalement, vers minuit, nous étions tous descendus des wagons. Ils nous ont donné un nouvel ordre : « Il faut vous séparer, les vieux dans un groupe, les femmes dans un autre, et les hommes capables de travailler dans un troisième».
Nous nous sommes réunis avec ma famille. Nous savions que grand-père devait être dans un groupe, mon oncle et moi dans un deuxième, ma grand-mère, ma tante qui avaient un petit garçon d’un an et ma mère dans le troisième. Pour ma sœur qui avait alors 16-17 ans, nous avons hésité et à la fin, nous nous sommes dit : « Pourquoi se séparer ? Il faut qu'elle soit avec toutes autres les femmes ».
C'est là que nous l'avons condamnée à mort et nous ne le savions pas.
"Arbeit Macht Frei"
Je suis resté avec mon oncle. Nous sommes sortis de la gare, nous avons marché 4 à 5 kilomètres et nous avons commencé à voir des maisons. A la fin nous sommes arrivés devant le portail d'Auschwitz et nous avons vu le signe: « Arbeit Macht Frei » (« Le travail rend libre »). Nous ne pouvions pas comprendre. Ils nous ont dit d’entrer. A Auschwitz, il y avait 28 blocs, ils nous ont amené par les rues d'Auschwitz vers les blocs 1 et 2.
Là il y avait une baraque avec les bains du camp. On nous a dit : « Vous allez entrer dans la salle de bain, on va vous couper les cheveux, vous donnerez votre argent, vos bagues, vos montres ». Quelqu’un a dit : « Mais c'est mon alliance de mariage », et un soldat a répondu : « Ça aussi ».
Certains nous ont calmés et les gens ont commencé à entrer dans l'entrepôt.
Nous étions en groupes de 20 à 25, je suis entré avec mon oncle. On nous a dit d'enlever nos vêtements, ne laissant que les chaussures. Ils ont commencé par nous couper les cheveux, puis nous sommes allés vers un deuxième arrêt où nous avons pris une douche, puis ils nous ont emmenés à un troisième endroit, nous sommes restés mouillés. Vers l'autre porte de l'entrepôt, il y avait des vêtements, on nous a donné un pantalon, un béret, et on nous a dit de nous habiller. Puis ils ont ouvert la porte et nous ont dit de courir vers le bloc 8.
Athanasios : Quand avez-vous entendu parler pour la première fois des crématoires et des tueries ?
Moshé : Le premier jour de notre arrivée, la nuit, nous étions dans des lits à trois étages, tout le monde criait : « Où sommes-nous, où sont nos familles ? ». On nous a dit que nos familles étaient à Birkenau, j'étais sûr qu'elles étaient là-bas. Après 2-3 mois, en revenant au camp après le travail, j'ai vu un de mes amis qui était dans la même classe que moi au lycée. Il m'a dit qu’il était à Birkenau, et qu’on l’avait ramené ici. Je lui ai demandé : « Tu étais à Birkenau ? As-tu vu ma famille ? Ma sœur ? ». il nous connaissait car il venait prendre des cours à la maison.
Il m’a regardé, choqué et m’a répondu : « Non, je ne les ai pas vus ». « Comment est-ce possible ? C'est si grand ? ». « Non, mais je n’ai pas pu les voir ». « Comment ça, tu n’as pas pu les voir ? ». Et il m’a répondu : « Ici à Auschwitz, à l'extérieur du camp, il y a un petit crématoire. Tu vois cette maison ? C’est là qu’ils brûlent les morts. Tu sais, à Birkenau, il y en a quatre plus gros ». « Mais as-tu vu ma mère ? ». « Je n’ai pas pu la voir ». « Pourquoi ? ». Et il m’a répondu : « Les Allemands les ont tués ». « Tu es devenu fou ? Les Allemands ? Est-ce qu'un peuple aussi progressiste peut tuer des gens ? ». Il m'a répondu : « Si tu veux me croire, crois-moi, si tu ne veux pas, ne me crois pas ». Et je lui ai dit : « Les Allemands sont une nation civilisée, ils ne peuvent pas tuer des gens ».
Plus tard, je suis retourné au bloc, et j'ai commencé à comprendre certains faits et paroles que j’avais entendu que jusque-là sans comprendre. J'ai appris que ma mère et ma sœur avaient été exécutées, ainsi que mon grand-père. Je ne savais pas quoi faire. J'ai pleuré et c'était tout, je ne pouvais rien faire d'autre…
Athanasios : Que représente pour vous Auschwitz, que symbolise ce camp ?
Moshe : L'enfer !
Athanasios : Les années ont passé mais le souvenir demeure. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes d’aujourd’hui ?
Moshe : Si qui que ce soit vous dit qu'il a l'intention de vous tuer, ne dites pas : « Oh, ça n'arrivera pas ». Vous devez garder à l'esprit que cela peut arriver. Vous devez être prêt à vous battre ».
Nous n'oublierons jamais les crimes commis. L'holocauste de la population juive par les nazis est une grande blessure dans l'histoire de l'humanité. Moshe Haelion a été l'un de ceux qui ont été témoins et survivants de la haine et de la violence, et n'a même pas eu la chance de dire au revoir à ses proches.
Après sa libération d'Ebensee, Moshe Haelion s'est installé en Israël en 1946. Il a dû se battre pour la libération de son peuple. Il a servi pendant la guerre d'indépendance de 1948 et a fait par la suite une carrière héroïque dans l'armée israélienne, recevant le titre de colonel dans les années 1970. Moshe a construit une famille et une vie pleine de sens dans sa nouvelle patrie.
Voir l'interview complète de Moshe par Athanasios (en grec).
Photos:
1. Athanasios Katsikidis et Moshé Haelion
2. Des Juifs grecs sur la Place de la Liberté à thessalonique en 1942.
3. La famille de Moshe Haelion. Le juene Moshé est sur la gauche.
4. Le portail d'entrée d'Auschwitz.
5. Le Colonel (ret.) Moshé Haelion en 2021.
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