Les Prof. Israël Finkelstein du Département d'archéologie de l'Université de Tel-Aviv et Ron Margolin, du Département de philosophie juive jettent la lumière sur les origines et la signification symbolique de l'histoire de Pessah.
Depuis des siècles, les familles juives se réunissent le soir de Pessah pour célébrer le Séder et lire la Hagada, récit de la sortie d'Egypte, du passage des Juifs de l'esclavage à la liberté, de leur marche à travers le désert et de leur arrivée en Terre promise. La Torah commande de célébrer annuellement la Pâque: "prends garde au mois de la germination, pour célébrer la Pâque […]; car c'est dans le mois de la germination que l'Eternel, ton Dieu, t'a fait sortir d'Egypte, la nuit. […]" (Deutéronome 16: 1-4). Mais l'Exode au centre de la Hagada de Pessach est-il une réalité historique ?
Un message d'espoir
"La question de l'exactitude historique du récit de l'Exode préoccupe les chercheurs depuis le début de la recherche historique moderne", relève le Prof. Finkelstein, l'un des principaux spécialistes contemporains d'archéologie biblique. "La plupart ont recherché des preuves historiques et archéologiques remontant à la fin de l'âge de bronze, au 13e siècle avant JC, car le récit biblique mentionne la ville de Ramsès, et un document égyptien de cette époque fait référence à un groupe appelé "Israël" à Canaan. Néanmoins, à cette période, le pays de Canaan était sous la domination d'une puissante administration égyptienne, et l'on n'a pas trouvé de preuve archéologique du récit lui-même. De plus, de nombreux détails du récit conviennent mieux à une période ultérieure de l'histoire de l'Egypte, vers les 7e-6e siècles avant JC, soit la période où le récit biblique, nous le savons aujourd'hui, a été rédigé. Cependant, des références à l'Exode apparaissent déjà dans les chapitres des prophètes Amos et Osée, qui datent probablement du 8e siècle avant JC, ce qui suggère qu'il s'agit d'une tradition ancienne. C'est pourquoi certains chercheurs ont avancé que l'origine du récit repose sur un évènement historique ancien, l'expulsion des Cananéens du Delta du Nil au milieu du second millénaire avant JC."
"Il semble que le récit de l'Exode fut l'un des textes fondateurs du royaume du nord (Royaume d'Israël), et qu'il soit arrivé en Judée après la destruction de celui-ci. Il est possible qu'à cette époque, qui marque les derniers jours du royaume de Juda, ce récit, qui décrivait un affrontement avec la puissante Egypte dans un lointain passé, duquel les enfants d'Israël étaient sortis victorieux, exprimait un espoir. Plus tard, il a transmis le même message d'espoir aux exilés de Babylone, leur montrant qu'il était possible de surmonter l'exil, de traverser un désert et de retourner vers la terre ancestrale. Par-dessus tout, le récit de l'Exode a toujours été une métaphore éternelle de la libération de l'esclavage vers la liberté, dans la tradition juive et les autres".
Une injonction morale
Pour le Prof. Margolin, le récit de l'Exode garde une signification profonde dans notre vie d'aujourd'hui: "l'Exode est le mythe fondateur du judaïsme après la destruction du Second Temple. A de nombreux égards il est parallèle, bien que très différent, à la crucifixion du Christ dans le monde chrétien. Il reflète la croyance dans une rédemption personnelle et nationale et un avenir optimiste pour tous et chacun sur la base d'un engagement à maintenir les lois de la Torah et leur esprit; alors que le second exprime une foi dans un salut basé sur l'empathie avec la souffrance de l'homme-dieu.
"Le récit de l'Exode possède une signification existentielle à la fois pour le peuple dans son entier et pour les individus. L'Exode est une libération de la servitude d'Egypte, mais il doit aussi façonner la vie des individus, car comme le commande la Hagada : "A toutes époques, nous devons nous considérer comme étant sortis nous-même de l'Egypte". Cela signifie que chacun doit se considérer, le soir de la Pâque et tout au long de l'année, comme rédempté, c'est-à-dire sorti d'Egypte. Dans la Bible, l'injonction "Et tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Egypte" (Deutéronome 5:15) est le raisonnement le plus commun servant de base à tous les commandements moraux. Ceux qui ont été libérés de l'esclavage doivent se rappeler le goût de celui-ci pour ressentir de l'empathie pour ceux qui sont à présent dans la servitude. «Si ton frère, près de toi, réduit à la misère, se vend à toi, ne lui impose point le travail d'un esclave [...] car ils sont mes serviteurs à moi, qui les ai fait sortir du pays d'Egypte, et ne doivent pas être vendus comme esclaves. Ne le régente point avec vigueur, crains d'offenser ton Dieu » (Lévitique 25: 39-43). «Tu ne maltraiteras pas l'étranger ni le molesteras, car vous-mêmes avez été étrangers en Egypte» (Exode 22: 21).
"La Haggadah de Pessah a été formulée après la destruction du Second Temple à l'ombre de l'assujettissement par les Romains; les auteurs ont souligné l'espoir de la rédemption du peuple, que nous appelons aujourd'hui rédemption nationale. La réalisation de cet espoir a été la création de l'Etat d'Israël. Mais le judaïsme ne sépare pas la rédemption du groupe de celle de l'individu, et il n'y a pas de sens à la rédemption nationale si les individus continuent à agir en esclaves. Aujourd'hui, plus que jamais, il est important de ne pas oublier le rôle éducatif du Seder".
" Le levain ("hamets") provient de la levure qui fermente et aigrit la pâte, et a été utilisé comme métaphore pour les mauvais penchants de l'homme depuis la période du Talmud. Détruire le levain est devenu une expression symbolique du détachement du mal à l'intérieur de l'individu. Manger de la matza pendant la Pâque exprime le désir d'un nouveau départ qui caractérise le printemps. L'esclavage est aussi celui de nos habitudes, de nos défauts, nos mauvais souvenirs, nos pulsions et nos passions excessives. L'aspiration à la rédemption est collective, mais ne peut être réalisée sans la libération des individus de leur esclavage personnel ".
"Que cette histoire ait vraiment eu lieu dans un passé lointain, ou qu'elle soit une parabole ou un mythe, puissions-nous tous être libérés de nos esclavages personnels, sociaux, physiques et psychologiques pour nous rendre vers le printemps de la liberté et des nouveaux commencements".